HOMMAGE A BINTA SAGNA, FONDATRICE ET PRÉSIDENTE DE LA SENEGAULOISE

Nous reprenons une interview accordée par BINTA SAGNA à des confrères, où elle parle de sa vie et de son parcours
» Soyez des femmes « non-conventionnelles » qui se jouent du poids des stéréotypes et embrassent des professions soit disant dites” masculines »
Je suis Binta Sagna, fondatrice et présidente de La Senegauloise, une agence créative basée sur le lien social au profit de entrepreneuriat et du développement. J’ai dirigé de nombreux programmes liés à la jeunesse, aux femmes et à entrepreneuriat qui a abouti à la création d’un puissant réseau de femmes africaines qui gèrent des projets et événements d’envergure internationale. Notre réseau s’appuie sur des entrepreneurs chevronnés, des artistes, des personnalités du secteur académique, industriel, politique, économique et scientifique. J’ai participé à divers groupes de travail d’ONG et associations qui surveillent et exécutent la résolution de l’agenda 2030 relatif au Objectifs de développement durable. J’ai reçu de nombreux prix et distinctions ces 2 dernières années. En 2017, j’ai été désignée par le magazine sud-africain Tropics comme l’une des 365 personnes les plus influentes du continent africain.
Quant’à mes souvenirs d’enfance, ils ne sont pas pour autant un simple retour du passé. Ils constituent notre identité. Ils sont la garantie qu’on a un passé, et quand on a un passé, c’est qu’on est sûr d’avoir une histoire et qu’on peut donc penser à un avenir. Mes souvenirs d’enfance sont une formidable source d’énergie, je les travaille, les utilise comme matière de création et d’inspiration dans mes projets qui intègrent une partie de mon enfance. Pour anecdote j’ai fondé le Malian Leadership Initiative, un prix récompensant les acteurs/trices de la diaspora malienne, que j’avais pensé toute jeune, voir adolescente, au moment de voir les filles et femmes maliennes de talent. Ou encore, je me penche actuellement sur un programme nommé “papegaai”, faisant référence à notre perroquet du Sénégal, un animal de compagnie qui m’a beaucoup touché pendant mon enfance.
Pour en revenir à ma famille, mes parents ont migré en France en 1969, ma mère n’avait que 18 ans et mon père 21 ans. Il est difficile d’imaginer ce que c’est de migrer si jeune vers un pays inconnu. Les jeunes migrant.e.s représentent plus de 10 % des millions de migrant.e.s internationaux et, comme ils sont le groupe social le plus mobile, ils forment l’essentiel des mouvements migratoires. Parfois, j’ai l’impression qu’on oublie cette spécificité liée à la jeunesse migratoire. Quand on est jeune, on a des rêves, des ambitions, des projets, des défis et une prise de risques qui vient avec, bien évidement. Ce défi pour mes parents représentait l’occasion d’accéder à une vie meilleure, de travailler et inciter leurs enfants de poursuivre leurs études, de nous permettre d’améliorer nos compétences et nous ouvrir des perspectives professionnelles. On ne parle jamais assez des aventures et des défis associés à la vie dans un autre pays. Le contexte de mes parents a évolué depuis. Aujourd’hui, cette émigration s’inscrit dans un contexte de fort chômage des jeunes et d’absence de création d’emplois décents chez eux et dans le pays d’accueil. En France, dans les années 60 trouver un travail n’était pas si difficile tant qu’on était volontaire.
Je suis née en France. Cela est, probablement, le meilleur cadeau de mes parents. Aujourd’hui, mon corps est en Europe, mais mon âme est en Afrique, car la réalité de notre couleur de peau et de nos origines est un ancrage qu’il faut pleinement assumer avec fierté, sans en faire une obsession ou en user à tord pour faire des revendications victimaires. Je suis arrivée en Belgique en suivant de nombreuses opportunités d’emploi.
3. Racontez – nous votre parcours professionnel. Qu’est-ce qui vous motive et vous inspire dans votre travail ?
J’ai fait des études supérieures universitaires en France et j’ai occupé des fonctions de manager dans de grands groupes français et américains, mais ce n’est pas ce qui me rend le plus fière. Ma fierté réside dans mon autonomie à créer et entreprendre, même si cela a été extrêmement formateur. Il faut souvent passer par une carrière professionnelle classique en entreprise pour apprendre à se connaitre et développer son leadership, c’est même fondamental.
4. Quels sont les difficultés que vous rencontrez en tant que femme et en tant que migrante ?
Je préfère utiliser le terme défis plutôt que difficultés. J’ai constaté qu’on utilise davantage ce terme en s’adressant aux homme, qu’aux femmes. Si nous militons pour l’égalité homme-femme il est important d’adapter notre langage pour encourager les femmes qui ont des défis, des ambitions, des projets. Le défi majeur selon moi est de parler la langue du pays d’accueil ? Pour la Belgique il s’agit du néerlandais. La connaissance de la langue est une condition nécessaire à l’intégration des migrant.e.s dans le pays d’arrivée, qu’il s’agisse d’entrer sur le territoire, d’obtenir l’autorisation de résidence permanente ou d’en acquérir la nationalité. Un grand nombre de pays européens, y compris la Belgique, mettent ainsi en place de différentes politiques de formation linguistique sanctionnées par des tests, certains dispositifs sont même gratuits.
5. Qu’est-ce que, d’après vous, nos sociétés doivent faire mieux pour assurer une participation à part entière des femmes à la vie politique, sociale, économique et culturelle de nos sociétés ?
La vie politique régit beaucoup d’aspects. J’encourage les femmes à y avoir une participation active. Si les femmes sont davantage actives, leur présence dans les gouvernements reste encore trop timide. En effet, la situation est probablement due au faut que les gouvernements bloquent l’ascension des femmes ; les hautes fonctions restent hors de portée des femmes, car elles touchent à la dimension régalienne de l’État, et donc, a fortiori, à la présidence. Il reste beaucoup à faire dans ce sens, autant en Afrique, que pour le reste du monde. Pour la première fois, il a été démontré[1] que plus il y a de femmes dans les arènes politiques nationale et locales, plus la corruption est réduite. Bien que cela ne signifie probablement pas que la femme est par nature moins corrompue.
6. Comment voyez-vous le rôle de la diaspora africaine dans le développement du continent à tous les niveaux ?
Le rôle de la diaspora africaine dans le développement du continent est crucial, dans la mesure où cette diaspora est instruite, qualifiée et ingénieuse. Aujourd’hui, les membres de la diaspora sont de plus en plus nombreux à se lancer dans les affaires dans les pays qui les ont vus naître grâce aux transferts d’argent, à la création d’entreprises, aux divers investissements, à l’innovation technologique et culturelle sur le continent. Je pilote le plus grand salon d’Europe dédié à l’Afrique et aux Caraïbes. Nous valorisons les actions de la diaspora qui créent le pont entre les deux cultures, celles du pays d’accueil et du pays d’origine. J’aime dire qu’il n’y a pas qu’une diaspora, mais des diasporas. Notre salon, le salon Afrique Unie, a de nombreuses années d’expérience en la matière. Depuis 2006, l’association œuvre en faveur de l’éducation ; le but étant d’apporter un soutien scolaire journalier aux enfants issus de l’immigration tout en leur faisant découvrir les richesses de la culture à travers la création artistique. L’organisation du salon est un événement annuel valorisant le continent africain.
7. Quel message enverriez-vous aux jeunes filles ? A d’autres femmes pour les inspirer et leur donner un exemple ?
Soyez des femmes « non-conventionnelles » qui se jouent du poids des stéréotypes et embrassent des professions soit disant dites” masculines”. Soyez des femmes qui ne rentrent pas systématiquement dans les codes, soyez des femmes qui se positionnent en rupture avec l’image que la société leur attribue par le biais des stéréotypes. Pour ce faire, il faut persévérer dans vos choix professionnels, avoir le plus de qualifications possibles et résister à la pression sociale de la première décennie de votre carrière professionnelle afin d’acquérir le plus d’expérience.