LE BOIS SACRE : Le soubassement d’une société casamançaise tournée vers le passé

Les religions révélées ont fini de se faire une place au soleil en Casamance. Seulement, elles se trouvent toujours dans une contrainte de cohabitation avec des pratiques païennes autour desquelles s’organise tout où presque dans cette partie méridionale du Sénégal.Le symbole de l’encrage de la société casamançaise dans la tradition reste sans nul doute le bois sacré. Cela est d’autant plus vrai que dans les sociétés Diola, Manjacque, Mancagne, Balante, Baïnounk par exemple, presque chaque village a son et même ses fétiches. Une tradition ancestrale à laquelle les religions révélées se sont adaptées, malgré elles. D’une localité à une autre, le bois sacré change de contenu. Dans le département de Bignona par exemple, il demeure un lieu sacré où se rencontrent les sages pour un certains nombre d’activités. Du coup, le bois sacré constitue un passage obligé pour les hommes. Une tradition que tous les Diolas ont en commun et que l’on appelle le Bukut ou initiation. Cet événement constitue l’un des plus importants dans la société traditionnelle Diola, car, il est le point de démarcation entre l’homme et la femme, le jeune et l’adulte, l’ignorance et la sagesse, l’innocence et la responsabilité. Etape ultime pour une intégration à la « Case de l’homme », le Bukut offre à la population masculine l’opportunité de s’approprier des vertus comme la dignité, le courage, la responsabilité, la sagesse, l’endurance etc. Le lieu d’apprentissage de ces vertus cardinales n’est autre que le bois sacré. C’est ce lieu mystique qui accueille pendant des mois (des semaines aujourd’hui), les futurs « hommes » qui sont appelés demain à assumer des responsabilités à divers titres dans la société. Outre le rôle de temple du savoir, le bois sacré (Kareng ou Ebireu en Diola) constitue un trait d’union entre les hommes et DIEU. Il est au début et à la fin. En toutes choses, il est consulté. Une pratique très encrée dans le Kassa qui correspond au département d’Oussouye. Ici, rien ne se fait sans le bois sacré. Et le Roi qui joue le rôle de catalyseur social est le gardien de ce temple. C’est d’ailleurs dans cette localité de la Casamance que le bois sacré garde encore sa véritable essence et son véritable pouvoir. Ici, les populations restent encore très attachées à cette pratique qui place le bois sacré au coeur de toutes les activités. Avant de faire quoi que ce soit, il faut se rendre dans ce temple pour des consultations. Une règle à laquelle on ne doit pas déroger même à la mort de quelqu’un. Dans le Kassa, toute mort a une explication. C’est pourquoi, très souvent, les services du fétiche sont demandés pour avoir une idée des causes réelles d’une mort. Ce qui donne droit à des rites qui renvoient au paganisme. Dans cette localité, ces fétiches sont gardés soit par des hommes comme les rois qui peuplent le département d’Oussouye, soit par des prêtresses. La plus célèbre d’entre ces dernières est la Reine Aline Sitoé Diatta. Prêtresse de Cabrousse, cette dame dont la seule évocation du nom renvoie à la bravoure féminine s’est illustrée par des actions qui sont l’expression d’un pouvoir surnaturel, celui tiré du bois sacré. La force de ces lieux de culte s’est d’ailleurs manifestée à travers l’histoire tumultueuse de cette prêtresse qui a répondu contre sa volonté à l’appel de son destin. Car, à l’époque, le choix du bois sacré s’était porté sur Aline Sitoé Diatta pour porter le flambeau de cette tradition ancestrale et perpétuer la puissance de cet être invisible qui s’exprime à travers ce que l’on appelle ici, le « Bakine ». Aujourd’hui encore, les femmes continuent à s’illustrer dans l’administration et la gestion de ces temples d’un autre genre.A Ziguinchor par exemple où ces temples pilulent malgré une certaine évolution dans le temps, elles sont plus en vue. C’est le cas à « Dialan Bantang ». Dans ce temple situé à Soucoupapaye et connu de tous les Ziguinchorois (voir photo) ; les femmes continuent à faire valoir leurs expertises dans le dialogue avec les esprits. Et comme Aline Sitoé, à chaque fois que la pluie se fait désirer, elles envahissent les rues de Ziguinchor pour chasser les esprits malsains, obstacles à l’expression de la volonté divine à travers la pluie.La puissance du bois sacré fait qu’il est la direction préférée des hommes et des femmes aux esprits mal intentionnés et malveillants. Pour faire du mal, punir ou jeter le mauvais sort sur quelqu’un, certains n’hésitent pas à solliciter les services du fétiche. La rapidité du résultat dans ces cas d’espèce fonde la crainte que les populations du sud ont vis-à-vis du bois sacré.Et pourtant, à première vue, le bois sacré n’est qu’un cocktail d’objets divers qui n’impressionne que par sa composition et la disposition des éléments qui le caractérisent. Dans certains cas, ce sont des bâtons ou des piquets méticuleusement « plantés » sur un monticule de terre entourée d’arbres qu’on appelle « Bakin ». Seulement, derrière cette apparence se cache toute une force surnaturelle qui fait que malgré la forte pénétration des religions révélées, particulièrement l’Islam, le bois sacré reste dans le vécu quotidien des populations du sud, même si aujourd’hui, le lait est en train petit à petit de remplacer le vin, utilisé d’habitude pour solliciter les services d’un fétiche.
Mamadou Papo MANE
