Paix en Casamance, gestion des ressources naturelles, affaire Salif Sadio, Grpc… : Le cours d’histoire de Ibrahima Ama Diémé

Témoin de la crise casamançaise et membre aussi bien du Collectif des cadres casamançais (Ccc) que du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) dirigé par Robert Sagna, Ibrahima Ama Diémé livre ses vérités sur la gestion du dossier casamançais et toutes les questions de l’heure qui entravent le retour d’une paix définitive dans cette région. Dans cette interview, le professeur d’Histo-Géo à la retraite, ancien chargé de mission du médiateur de la République, parle du cas Salif Sadio, de la problématique de la gestion des ressources naturelles…
En
tant que témoin de la crise casamançaise et acteur engagé du processus
de paix, quel est le niveau actuel du dossier casamançais ?
Nous tous, qu’on soit Casamançais en particulier, Sénégalais en général
et même habitant de la sous-région ouest africaine, devons nous réjouir
de la situation actuelle et rendre grâce à Dieu qu’on ait pu arriver à
cette accalmie que tout le monde constate et dont tout le monde profite.
Et ce, quelles que soient les positions que l’on occupe du reste. Que
l’on soit membre des forces de sécurité, autorité administrative ou
politique, Ong, des citoyens tout court, des étrangers venant ou vivant
en Casamance, tous doivent rendre grâce à Dieu de pouvoir profiter de
cette accalmie qui constitue déjà une paix qui frappe à la porte de
notre pays.
Qu’est-ce qui a rendu possible cette accalmie ?
Là il faut reconnaître les efforts des uns et des autres. Je vous
disais il y a quelques années qu’on a senti de la part du président de
la République sa volonté de résoudre cette crise. Il l’a manifestée à
plusieurs occasions, avec trois séjours à Ziguinchor en dehors des
séjours réguliers comme les Conseils des ministres décentralisés voire
les campagnes électorales à travers le Sénégal. Pour Ziguinchor en tout
cas, il est venu ici à trois reprises pour montrer sa volonté à
accompagner le processus pour que le Sénégal, dans son intégrité, puisse
vivre la paix. Il y a aussi de l’autre côté les responsables du Mfdc
qui, avec l’avènement de Macky Sall, ont manifesté leur désir de marquer
un temps d’arrêt pour voir un peu ce qu’il va leur proposer. Il y a
enfin les acteurs du processus parmi lesquels le Grpc auquel
j’appartiens en plus d’autres agents, des bonnes volontés, des Ong qui,
dans l’ombre, travaillent à ce que la paix revienne. Tout cela a amené
les résultats que nous vivons aujourd’hui. Et il faut magnifier cela et
souhaiter que tous nous nous engagions à consolider ces acquis parce
qu’aucun d’entre nous n’a intérêt à ce que cette situation se détériore
et qu’on revienne à la case de départ, c’est-à-dire à ces périodes de
violence, de velléité, de braquage par-ci par-là, et de tentatives de
mettre fin aux accords, etc. Retourner là-dedans, c’est retourner à
nouveau dans un cycle de violence dont on ne peut pas mesurer les
limites. Voilà le cadre campé : l’Administration fait ce qu’elle peut,
l’Etat en tant que tel fait ce qu’il peut, les combattants du Mfdc font
ce qu’ils peuvent et nous autres du Grpc qui sommes des facilitateurs du
processus continuons à travailler dans ce qui est notre mission ; à
savoir conseiller les deux protagonistes. Aux combattants du Mfdc, on
leur fait savoir que la seule issue valable pour chacun c’est d’arriver à
s’asseoir autour d’une table avec leurs interlocuteurs qui sont à la
tête de l’Etat ; l’Etat qui, le moment venu, va envoyer des délégués
pour discuter avec le Mfdc. Et c’est autour de cette table maintenant
que toutes les questions seront posées et les réponses seront apportées
dans la mesure du possible et de l’acceptable. Voilà un peu comment le
processus devrait se dérouler.
Où en sont concrètement les contacts entre l’Etat et le Mfdc ?
Je voudrais préciser d’ailleurs au moment où nous parlons que le
président de la République a mis une structure de dialogue qu’il appelle
le Comité ad hoc et à la tête duquel se trouve l’amiral Sarr. Ce
dernier discute avec les éléments du Mfdc auxquels il a accès, en
attendant qu’il puisse accéder à tout le monde pour que justement les
discussions s’engagent. Et nous au Grpc, nous travaillons à préparer les
documents au moins qui pourraient faire l’objet de consensus ; entre
d’abord les différents segments du Mfdc, mais également entre les
différents segments du Mfdc et le reste de la population casamançaise.
Parce que quand même il s’agit là de discuter de l’avenir de la
Casamance. C’est dire qu’il n’y a pas aujourd’hui quelqu’un qui peut se
prévaloir d’un mandat de discuter tout seul de l’avenir de la Casamance.
Il faudrait donc qu’on aille vers la réconciliation des Casamançais. Ce
qui va permettre de faciliter le processus de renforcement du retour de
la paix. Donc c’est ce travail là que nous sommes en train de faire et
qui se poursuit avec l’espoir que très certainement les différents
segments du Mfdc, ceux armés comme politiques, de l’intérieur comme de
l’extérieur, s’accorderont sur la nécessité qu’il n’y a pas de crise
sans solution, de crise sans fin. Et nous ne sommes pas des
extra-terrestres, nous les Casamançais, pour que notre situation soit
celle qui sera la seule que le monde n’arrivera pas à voir résolue. On a
connu des crises en Amérique latine avec les Farc, mais c’est terminé
aujourd’hui et on ne parle plus de la crise en Colombie comme on en
parlait dans le temps. Il faudrait aujourd’hui que les Casamançais
acceptent qu’il faut savoir mettre fin à une situation. Et autant il a
fallu un courage pour s’engager dans le maquis afin de vouloir défendre
des idéaux, autant il faut plus de courage pour aller vers la fin de la
crise parce qu’aujourd’hui tout le monde veut que cette crise là
connaisse sa fin.
Est-ce à dire que vous ne cautionnez pas
la démarche solitaire de Salif Sadio qui avait commencé à organiser des
fora pour s’adresser aux populations casamançaises ?
Là
aussi, il faudrait dire que de tous les chefs du maquis, Salif s’était
distingué pendant certaines années comme étant quelqu’un de très
favorable à la nécessité de trouver un consensus autour de la
problématique de la Casamance. Et il est resté, à mon avis, dans cette
logique, car il faut rappeler que malgré ce qu’on peut dire de Salif
Sadio, c’est lui qui a accepté le premier de discuter avec le Comité ad
hoc par Saint Egidio interposé et c’est lui qui a accepté d’envoyer des
émissaires à Saint Egidio pour discuter avec les interlocuteurs de
l’Etat.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
Je ne suis pas dans le secret des envoyés de Salif, mais je crois
savoir que leurs discussions ont buté. Sur quoi elles ont buté ? Eux
seuls le diront. Mais brusquement au moment où les autres segments du
Mfdc ont enclenché leur processus d’unification de leur mouvement afin
d’aller à la table des négociations tel que proposé par le Comité ad
hoc, on assiste à des tentatives de sortie de Salif, des tentatives que
je considère à la fois heureuses et malheureuses. Malheureuses parce que
la première fois qu’il a sorti un communiqué pour une communication à
Koundioughor afin de dire aux Casamançais et à l’opinion quel est l’état
des négociations entre lui et le Comité ad hoc à Saint Egidio,
personnellement j’ai applaudi, car je me disais que maintenant on va
savoir qu’est-ce qu’ils se sont dit à Saint Egidio, quelles sont les
difficultés, si difficultés il y en a, et quelles sont les étapes à
franchir. Mais malheureusement, on constate qu’il n’a pas été lui-même à
Koundioughor. Il a envoyé à sa place des représentants et lesquels, au
lieu de parler des contours de la rencontre de Saint Egidio, sont
revenues sur les attitudes qui ont précédé l’éclatement de la violence
dans la région. Finalement, je me suis dit est-ce que c’est ça que les
Casamançais attendaient, est-ce que c’est ça que l’opinion attendait ?
Est-ce que c’est la non négociabilité de l’indépendance de la Casamance
que les Casamançais attendaient ? Non ! Ce qu’ils attendaient, c’est de
dire que nous avons été à Saint Egidio, nous avons discuté de tel et de
tel problème, voilà où on s’est entendu et voilà les points de
désaccord. C’est pourquoi tout le monde est resté sur sa faim après la
sortie de Koundioughor. Et brusquement encore, on apprend que ça va se
passer à Thionck-Essyl et après Thionck-Essyl, Diouloulou.
Cela ne s’est pas bien passé à Diouloulou et à Kagnobon comme Salif l’avait planifié…
Si Salif (Sadio) pense que l’Etat du Sénégal est son interlocuteur,
lorsqu’il veut aller dans une localité quelconque, il faut qu’il
s’adresse au moins à l’autorité de cette localité. Et que celle-ci lui
dise oui tu peux ou tu ne peux pas. Et si l’autorité de la localité
donne un avis défavorable, je ne pense pas – et si c’est un conseil
qu’il va prendre en bien ou en mal et il est libre de le faire – que ça
soit raisonnable de sa part de dire qu’il va organiser par la force son
Assemblée générale. Ce qui a amené ce qu’on a connu à Diouloulou et à
Kagnobon. Parce que de toutes les façons, il n’est pas allé tout seul à
Saint Egidio, mais il est allé avec des représentants de l’Etat. Il
n’est pas allé tout seul pour discuter d’une question
crypto-personnelle, mais plutôt d’une question qui intéresse à la fois
les autorités du Sénégal, son groupe à lui et les autorités locales des
villages des communes dans lesquelles se trouvent les villages. Il faut
qu’il tienne compte de l’opinion de tous ceux-là. Mais au finish, on a
constaté que ça s’est terminé à Kagnobon avec la dislocation de la
tentative de réunion ponctuée par des interpellations et par la suite
des procès au Tribunal. A mon avis, ce fut un procès d’apaisement, car
les juges qui avaient en charge ce dossier n’ont pas eu la main lourde.
Ce qui était d’ailleurs la meilleure attitude, car il fallait que les
gens sentent que de part et d’autre il y a encore cette volonté
d’accalmie, de renforcer cette accalmie et de rechercher la paix non pas
par la force, mais par un processus de dialogue. Et qui dialogue dit
capacité d’écoute des acteurs, volonté d’écoute des acteurs. Quand
quelqu’un dit que je veux faire ceci et que l’autre répond que ce n’est
pas possible, essayons alors de voir sur ce que l’on peut s’accorder et
on avance.
Salif Sadio demeure-t-il toujours cet élément
incontournable dans ce processus de paix, comme vous le prétendiez il y a
de cela deux ans ?
Oui jusqu’à présent et compte tenu de
ce qu’il a été dans le maquis et dans le Mfdc en général, il faut que
Salif (Sadio) reste un élément qui va compter dans le processus de
négociations. Maintenant, il faut que lui-même soit convaincu qu’il faut
qu’il évolue dans le sens de la situation actuelle. Et celle-ci est que
les gens veulent la paix, ils veulent connaître cette Casamance
pacifique, accueillante, qui intègre tout le monde et qu’il soit
l’exemple même de ce que les Sénégalais rêvent d’être, un Etat où il y a
toutes les civilités, toutes les conditions de cohabitation pacifique
sans tenir compte ni de l’appartenance ethnique, religieuse, etc. On se
félicite souvent qu’à Ziguinchor nous avons un cimetière qui est à la
fois pour les chrétiens et pour les musulmans, et nous sommes dans une
région où, à la limite d’une forêt sacrée, on enterre et les catholiques
et les musulmans et les animistes, etc. Une région cosmopolite à tout
point de vue, où il y a tous les noms de famille que vous trouvez au
Sénégal et dans la sous-région. Donc, il ne saurait y avoir d’exclusion
pour dire que X n’est pas ceci et Y est cela. Et malheureusement,
c’était ça qui avait amené la crise qui s’était posée ici au-delà des
éléments matériels qui étaient des objets de revendication des
populations en son temps avant 1982 d’ailleurs, à savoir les questions
d’ordre économique, social, de développement, de scolarité, de santé,
etc. Cela a fait donc un ensemble de revendications et malheureusement
les gens se sont engouffrés dans l’exclusion et c’est cela qui a créé
cette crise que l’on a connue, mais qui, dieu merci, est en train de
s’éteindre progressivement avec une gestion plus responsable. C’est
pourquoi j’interpelle tout le monde à voir ce qui est l’intérêt de tout
le monde. Une chose est de décider d’aller dans un processus de guerre,
une autre chose est d’être certain qu’on ne maîtrise pas quand est-ce
cette guerre sera terminée. Donc il vaut mieux ne pas aller dans cette
guerre et essayer de maîtriser tous les éléments qui peuvent concourir à
un apaisement définitif que de vouloir remettre en cause cette paix-là
que nous vivons et dont nous profitons tous.
Comment en est-on arrivé d’ailleurs à cette crise qui hante encore le sommeil des populations ?
Parce qu’il faut dire du point de vue historique, si la conquête qui a permis la création de l’Etat du Sénégal s’était terminée dans la plupart des superficies du Sénégal, notamment du Nord et à l’Est en 1900, en Casamance, à cause des difficultés d’accès dans certaines zones qui constituaient des zones refuge, la conquête ne s’est pas parachevée jusqu’au moment de l’indépendance. Il y a eu des zones où les gens ont résisté jusqu’à l’indépendance. C’était d’ailleurs normal, car à l’époque il n’y avait pas d’entités qui résistaient ou pas, mais c’était quelques groupuscules voire même des tribus. C’est vrai que lorsqu’on parle du royaume d’Affilédio Manga, à l’échelle des grands Etats, ce royaume ne peut être considéré comme une tribu des Bandial. Tout comme quand vous allez dans le Oussouye, le roi n’a de pouvoir que dans Oussouye et aux alentours, mais pas au-delà. Vous allez à Mlomp, le roi a là-bas également son pouvoir juste autour de Mlomp, idem à Calobone, etc. Donc il faut que les gens connaissent leur histoire. Un village casamançais, qu’il soit diola, balante, manjacque ou autre, était un village qui se suffisait comme juste un Etat, une République. Et les litiges étaient déjà entre ces villages. Et ils étaient à l’état latent parce que justement le processus de création d’un Etat beaucoup plus grand, multiethnique, multiracial n’était pas terminé chez nous. Et la crise arrive ! Dès qu’elle a éclaté en 1982, en moins de 22 ans d’indépendance du Sénégal, l’Etat n’était suffisamment pas bien construit dans la région. L’autorité qui représentait à l’époque l’Etat et qui s’appelait le chef d’arrondissement ou à la limite le chef de village n’avait pas encore tous les égards, tout le consensus de ceux qui étaient censés être ses administrés. Tout cela a contribué à fragiliser davantage la région avec l’éclatement du conflit. Du coup, ceux qui avaient des problèmes personnels avec un chef de village se sont engouffrés là-dedans ; ceux qui avaient des problèmes personnels d’héritage, des problèmes de terre à l’intérieur d’une même famille se sont engouffrés là-dedans ; ceux qui avaient des problèmes de frontières entre leur village et celui d’à côté se sont introduits là-dedans. Tout cela fait un ensemble de problèmes qu’il faut absolument gérer et qui ne seront même pas définitivement gérés même si la crise se terminait. Dans tous les Etats du monde, si on suit l’actualité, se posent des problèmes de terre ; une terre pour l’habitat, pour l’exploitation et une autre qui a un statut qui varie selon les moments, selon les régimes. Et c’est cette terre qui nous donne tout et où nous retournons.
Vous semblez donc indexer l’incapacité des politiques à faire face aux crises latentes. Et quid de la responsabilité de l’Etat ?
Mais aujourd’hui, les débats d’ordre politicien c’est qu’il y a du minerai quelque part. Ceux qui habitent disent que c’est notre terre à nous donc notre minerai à nous. L’Etat dit que c’est son minerai, car il est propriétaire de tous les minerais, des mines qu’il y a dans son territoire. Et les populations locales, poussées par d’autres forces oppositionnelles qui plaident pour le droit de propriété, s’opposent. Le cas du zircon de Niafrang est là. Certains disent que c’est le zircon de Niafrang, personne ne doit l’exploiter, etc. Alors que du point de vue de la loi actuelle, les minerais appartiennent à l’Etat et c’est à l’Etat de décider de les exploiter ou pas. Et il le fait en conformité avec ce qui est de son intérêt, mais également avec l’intérêt des populations qui vivent dans la zone parce que c’est le seul représentant légal des populations, qu’elles soient du sud, du nord, de l’est ou de l’ouest. Ce débat, il faut qu’on l’engage, que ces populations qui sont dans ces zones, que ce soit à Niafrang, Cap Skirring, Falémé, Diogo, Mboro, etc. sachent qu’elles n’existent parce que l’Etat leur apporte une certaine garantie de droit et de liberté. Parce que s’il n’y avait pas cet Etat, cette stabilité, on aurait des situations vécues ailleurs. Je ne vais pas citer de pays, mais vous savez que tous les matins on entend qu’il y a des attaques par-ci avec tant de morts, des attaques par-là avec son lot de victimes, des mouvements de ceci et de cela, etc. Mais ici au moins, la stabilité est garantie par l’Etat qui garantit à tous les citoyens la libre circulation à l’intérieur du territoire, et donc leur égalité. Maintenant rien n’est donné, tout se conquiert et il faudrait donc que les gens tiennent compte du fait que l’Etat garantit à tout le monde le minimum. Par conséquent, nous devons reconnaître à l’Etat le droit et le devoir de prendre en compte justement certaines de nos préoccupations, notamment un environnement décent, l’accès à l’école pour tous les enfants qui vivent dans le territoire sénégalais, l’accès à la santé, etc. Mais tout cela demande beaucoup de moyens et l’Etat doit investir. Et il ne peut investir qu’à partir des ressources qu’il y a d’abord à l’intérieur du territoire national. Donc c’est à l’Etat de dire si j’exploite tel minerai, telle richesse que le Bon Dieu a mis à la disposition de mes populations. Ça me rapportera ceci et en contrepartie cela va me permettre de faire différents types d’investissements. Les gens réclament des routes, de l’électricité, de l’eau ; et tout cela c’est de l’argent. Et nous sommes dans une région où malheureusement, à la faveur de la crise, les populations ne payent plus d’impôts. Alors d’où viendront les ressources qui vont permettre aux collectivités territoriales de pouvoir prendre en compte un minimum d’investissement ? Or les maires on les a élus pour qu’ils fassent des investissements.
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