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SANTHIABA MANJACQUE, BARAKA PATATA, BARAKA PAKAO, BINDIALON, NYAFENA: Ces villages qui ont tourné le dos à la civilisation humaine

Ils ont connu les premières crises migratoires liées au conflit en Casamance.  Et depuis lors, l’existence de Santhiaba Manjacque, Baraka Patata, Baraka Pakao, Bindialon et Nyaféna se résume à la présence de mines et autres bandes armées qui hypothèquent tout retour des populations dans ces villages situés le long de la frontière avec la Guinée-Bissau.« Je m’appelle Dominique Wink. Je suis originaire du village de Bindialon Manjacque. J’habite depuis des décennies à Mandina ». Derrière cette présentation, se cache tout un drame. Celui de milliers de personnes, obligées de tout quitter pour continuer à vivre. Du haut de son mètre soixante-dix, Dominique Wink que nous avons rencontré à Sao-Domingos, en Guinée-Bissau, vit dans la nostalgie de son Bindialon natal qu’il n’a plus retrouvé depuis les années 1990. D’une voix rauque, certainement  affectée par le poids de l’âge et la misère d’une vie de réfugié, il nous raconte les circonstances d’un départ forcé, imposé par la présence des combattants du mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) : « Quand les rebelles sont arrivés avant même 1990, la vie est devenue infernale pour nous. Un bon jour, nous avons été chassés de Bindialon Manjacque. Nous nous retrouvâmes de l’autre côté de la frontière, à Baraka Manjoka ». Cet exil, Dominique Wink l’a mal vécu, très mal même. « Avant, les hommes armés nous harcelaient, mais après, ils nous ont fait partir. Et c’est dans le bois sacré de mon père qu’ils ont installé leur base qui deviendra l’état-major du maquis du Mfdc », fait savoir notre interlocuteur qui va se retrouver avec les siens à Baraka Manjoka. « On a tout laissé derrière nous. Nous sommes passés d’une situation d’autarcie à un statut d’assistés », se plaint Dominique Wink. Ce dernier prolongera son chemin pour se retrouver un peu plus loin. Mais les souvenirs d’une vie paisible à l’abri des difficultés qui assaillent aujourd’hui son quotidien de jardinier qu’il est devenu par la force des événements, ne cessent de défiler dans la tête de cet homme imposant qui frôle la soixantaine. Le retour au village natal sonne comme un rêve pour Wink et ses camarades d’infortune. « Qu’est-ce qu’on va retrouver sur place après trente ans d’absence ?, s’interroge notre interlocuteur qui semble céder à la résignation. Cette expérience cauchemardesque, Dominique Wink l’a partagée au cours d’une rencontre tenue à Sao-Domingos sur initiative du groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc). Une rencontre au cours de laquelle la parole a été libérée. Presque tous les réfugiés qui ont effectué le déplacement, venant parfois de loin, ont raconté leur histoire. Des récits glaçants, poignants parfois révoltants Ceux d’hommes et de femmes brisés par la guerre. Ils sont originaires de Santhiaba Manjacque, dans le département d’Oussouye, de Bindialon Manjacque, de Baraka Pakao, de Baraka Patata, de Nyaféna, dans le département de Ziguinchor. Tous ont fui vers les années 1990, au plus fort de la rébellion casamançaise. « Tous nos vieux sont morts en exil en Guinée-Bissau », fait savoir Issa Ndiaye. Le président des réfugiés casamançais en Guinée-Bissau partage son temps à parcourir la bande frontalière pour soulager les siens. Originaire de Santhiaba Manjacque, Issa semble être l’exception dans cette vie « pourrie ». « J’ai réussi à poursuivre mes études. Après l’université, je suis venu rejoindre mes parents en Guinée-Bissau ». Recruté par un organisme en charge des réfugiés, Issa est devenu le porte-voix de ces hommes et femmes qui ont fui depuis des décennies, mais aussi de ces jeunes et enfants qui ignorent presque tout de leurs villages d’origine. La silhouette frêle de cet homme généreux donne de l’espoir à ces milliers de personnes qui se sont retrouvées contre leur gré de l’autre côté de la frontière. Mais, l’envie de retourner semble désormais plus forte chez ces réfugiés. Lesquels se montrent déterminés à prendre des risques pour rentrer chez eux. « Nous vous demandons de discuter avec les combattants et les militaires pour nous permettre de retourner ». C’est cette mission qui a été confiée au Grpc présent sur les lieux pour entre autres recueillir les doléances. L’ambassadeur Saliou Cissé, à la tête d’une forte délégation, s’est engagé à être le porte-parole des réfugiés auprès des autorités. « On verra avec les autorités sénégalaises et bissau-guinéennes ce qu’il faut faire », a-t-il promis avant de plaider pour le déminage, la réhabilitation des voies d’accès, l’accompagnement etc. En attendant, Santhiaba Manjacque, Bindialon Manjacque, Baraka Patata, Baraka Pakao et Nyaféna conservent pudiquement leur statut de villages fantômes, hostiles à tout épanouissement humain, devenus enfer pour leurs propres populations ou plutôt, ceux qui en étaient.

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