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UNE VIE, UN VECU : Aline Sitoé Diatta, le leadership au féminin

Alors que rien, de son enfance à son adolescence, ne la prédestinait à la résistance face aux colons, elle se réveillera, un bon jour, investie d’une mission salvatrice pour son peuple de Casamance. Elle, c’est Aline Sitoé Diatta, une vraie dame de fer, dans toute l’acception du terme. Sans moyens, elle a su pourtant imposer ses convictions. Et avec conviction, elle a su résister aux moyens des envahisseurs qu’elle considérait comme destructeurs sociaux. Des décennies après sa disparition, le temps, cet effaceur d’exploits et de mérites, n’a pu faire son effet sur l’image d’Aline Sitoé Diatta. Sa vie et son vécu servent encore de lumière à la femme casamançaise, sénégalaise, et africaine.

Née au moment où la résistance avait presque été éradiquée par les différents colons, de Faidherbe à Protet en passant par Louis Lefebvre et Hubert Jules Deschamps, Aline Sitoé Diatta n’était nullement prédestinée à s’opposer aux Français de façon aussi déterminée.
Lorsqu’elle naquit en 1920 à Kabrousse, les plus grands résistants sénégalais avaient déjà tiré leur révérence. El Hadji Omar Foutiyou Tall avait mystérieusement disparu dans les grottes de Bandiagara en 1864 ; Lat-Dior tué à Dékhelé en 1886 ; Alboury Ndiaye assassiné en 1898 ; et j’en passe. Du Walo au Ndiambour donc, en passant par le Sine, le Saloum, le Baol, le Cayor, les Français avaient donc fini par conquérir les territoires naguère théâtres de longs et violents affrontements.

Brève vie, brave vécu

Née après la première guerre mondiale, pendant que le mythe blanc commençait à s’effriter, poussant les Africains à demander à plus de considération, Aline Sitoé Diatta s’engagera à suivre les pas de ses prédécesseurs pour une libération complète de son peuple. A l’image de de ses consœurs du Walo et leur résistance du 7 mars 1820, la dame de Kabrousse sera à l’avant-garde de la lutte contre les Français sur sa terre natale.

Cette résistance ne durera que trois années tout au plus (certaines sources parlent de 2 ans) mais ses effets seront nettement perçus par le pouvoir colonial qui décidera ainsi de s’en débarrasser. Corneille ne nous avait-il pas prévenu d’ailleurs que : « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années » ?

Issue d’une famille démunie, et en l’absence du père décédé avant sa naissance, Aline Sitoé Diatta est obligée de batailler dur pour ne pas continuer de vivre aux crochets de son oncle paternel. Ainsi ira-t-elle à Ziguinchor où elle deviendra docker puis à Dakar où elle travaillera comme bonne chez un colon ; elle n’avait alors que 18 ans.

C’est à Dakar que sa vie connaîtra une mutation importante. Dès 1941, la jeune femme de 21 ans commence à entendre des voix l’enjoignant de rentrer chez elle, en Casamance, pour mener la résistance. Même si le chercheur Paul Diédhiou précise que ces voix furent adressées à la dame afin qu’elle rentre assumer des « responsabilités de prêtresse du culte Kassarah », le fait est que cela va changer radicalement le cours de la vie d’Aline Sitoé Diatta. Finalement, la prêtresse se résout à obéir aux voies et retourner chez les siens à Ziguinchor.

La désobéissance civile comme arme

Les agissements d’Aline Sitoé Diatta, favorisés par le contexte de la Seconde Guerre mondiale dans laquelle la France s’est résolument engagée, vont ameuter le pouvoir colonial. Cette résistance menée en Casamance, réputée terre de refus, va prospérer aussitôt qu’elle aura commencé. Investie de pouvoirs fétichistes ou prophétiques, Aline Sitoé Diatta ralliera toute la zone casamançaise à sa cause. Elle devient populaire et très suivie parce qu’elle était aussi considérée comme une faiseuse de miracles et une guérisseuse.

Ambassadrice et fervente défenseure des traditions, elle sera vue en un moment de sa mission comme une reine doublée d’une prophétesse. Son aura grandissant, elle en profite pour appeler les populations à la désobéissance civile pour contrecarrer la mission des colons. Ses conseils et positions relatifs à la désobéissance civile vont lui valoir de la part de l’administration coloniale l’étiquette de « rebelle ». Aline Sitoé est accusée de prôner l’insurrection et l’insoumission ; et en tant que tel, elle devait être abattue.

La déportation et la mort à Tombouctou

Apôtre de la paix s’inspirant certainement de Mahatma Gandhi avec sa stratégie basée sur la non-violence, Aline Sitoé n’en sera pas pourtant moins persécutée. Elle sera victime de la barbarie coloniale, si l’on en juge les conditions de son arrestation et de sa détention. Son influence dépassait son âge, 23 ans, et cela constituait une raison suffisante pour la France qui perdait de l’influence sur le plan mondial d’en finir avec elle.

Arrêtée en mai 1943, avec son mari, elle sera déportée à Tombouctou, au Mali. Retirée dans un lieu réservé pour sa période de menstruation, comme le voulait la coutume Diola, la dame de Kabrousse sera surprise par les soldats français qui la croyaient en cavale. Ils ouvrirent le feu sur une cible qu’ils prirent pour elle et tuèrent une innocente.

Désireuse de ne plus assister à un autre massacre des siens, Aline Sitoé Diatta se livre à ses futurs geôliers. Elle se constitue ainsi prisonnière avant d’être jugée plus tard et condamnée à la déportation. La reine de Kabrousse sera emprisonnée au Sénégal, en Gambie, puis au Mali, sa destination finale.

Elle mourra à l’âge de 24 ans, suite à des conditions de détentions difficiles, des privations et autres mauvais traitements. Jeune combattante, son nom traverse pourtant les décennies et la maintient toujours dans une stature enviable. Pour sa vie et son vécu, le nom d’Aline Sitoé Diatta restera au panthéon de l’histoire notamment au chapitre des résistantes africaines.

Par Ababacar Gaye/SeneNews
Kagaye@senenews.com

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